De Moscou à Irkoutsk par la ligne de train du Transsibérien

A 13h35, c'est l'embarquement dans le train ! Le nôtre est le numéro 350, de destination finale Gytha.

A la gare de Yaroslav Le train Le train

Nous découvrons notre wagon et notre compartiment. Les wagons sont d'un chic un peu vieillot : tapis au sol, voilure aux fenêtres, portes capitonnées brunes, petite nappe sur la tablette. Le compartiment comporte 4 couchettes, 2 en bas et 2 en haut, ainsi qu'une tablette pour les repas. Les draps sont fournis, ainsi que des couvertures. Celles-ci s'avèrent plutôt inutiles car le train est fortement chauffé. Des emplacements sous les couchettes et en hauteur sont prévus pour caser les gros sacs de voyage. Sinon, il y a beaucoup de petits rangements ingénieux un peu partout contre les murs qui permettent de garder à porté de main les objets du quotidien : livres, stylos, jeux, appareil à photo, trousse de toilette, etc. Chaque wagon est tenu par une "prodnovista", qui s'occupe du ménage, de la gestion des descentes et des montées dans le train, vend du thé et un peu de nourriture. Un samovar, sorte de gros chauffe-eau situé en bout de wagon, permet d'obtenir de l'eau chaude à toute heure de la journée. Deux WC sont situés à chaque bout du wagon : ils sont équipés d'un lavabo qui autorise une toilette sommaire.

Notre compartiment La prodnovista Le samovar

Le train s'ébranle lentement. Nous partageons notre compartiment avec deux hommes entre 40 et 50 ans, Sergueï et Vladimir. Nous comprenons qu'ils sont venus à Moscou pour affaire et qu'ils retournent maintenant chez eux.


Que fait-on dans le train ? Ne s'ennuie-t-on pas ? Et bien pas du tout : on s'approprie le temps, au sens propre et au sens figuré. D'abord, tous les trains roulent à l'heure de Moscou. Certains passagers, comme nous, décident de garder cette heure pour pouvoir connaître les prochains arrêts. D'autres vivent à l'heure locale. Quand le décalage devient important, les paradoxes sont cocasses : le soleil se couche à 3h de l'après-midi, heure de Moscou ; certains prennent le petit-déjeuner tandis que d'autres sont au déjeuner. Les compartiments sont très confortables : on peut allonger ses jambes, rester assis, semi-assis ou couchés, se ballader dans les couloirs du wagon. On dort quand on en a envie, on mange quand on a faim. On lit, on joue (nous avons emmené un scrabble), on discute. On admire le paysage et on essaie de prendre quelques photos (pas facile : les vitres sont plutôt sales et seules quelques fenêtres du couloir s'ouvrent). La Sibérie défile sous nos yeux au rythme lent du train. Le paysage ne change pas beaucoup au fil des kilomètres : des plaines à perte de vue, remplies de bouleaux et de mélèzes. Pourtant, ce n'est pas lassant, car l'automne pare les arbres de teintes sublimes, mélange de rouge, d'or et de vert. Des petites maisons en bois aux volets de couleur vive surgissent parfois dans ces étendues vides. Plus rarement, des grosses friches industrielles déparent le paysage.

Paysage de Sibérie Paysage de Sibérie Sur le quai

L'effervescence se fait dans le train : un arrêt est proche. C'est l'occasion de prendre l'air et de se dégourdir les jambes.
Dans le train, les gens s'habillent décontractés : les costumes cravates sont troqués contre des pyjamas, des survêtements. On déambule en chaussettes ou en tongs. Avant de sortir, il faut donc penser à s'habiller chaudement pour descendre car des 25° du compartiment au 5° de la Sibérie, le choc thermique est rude.
En théorie, il y a minimum 4 arrêts longs (plus de 15 min) par jour. En pratique, si le train a du retard, il rogne sur les temps d'arrêt en gare. Comme il n'y a pas d'annonce de départ du train sur les quais, il faut bien se renseigner auprès de la prodnovista avant de descendre, pour savoir combien de temps le train va rester en gare. Le stress de manquer le départ, la difficulté de changer d'une voie à l'autre et l'inintérêt des gares russes font que l'on passe généralement le temps de l'arrêt à déambuler devant les wagons.

Paysage de Sibérie Serguei Paysage de Sibérie

Non seulement pour prendre l'air, les arrêts sont aussi intéressants pour se ravitailler en nourriture. Bien sûr, il existe un wagon-restaurant dans le train et une vendeuse ambulante passe régulièrement avec un chariot. Mais à certains arrêts, les vieilles femmes russes viennent vendre la production locale : des seaux entiers de fruits et légumes, mais aussi des plats cuisinés. Nous avons ainsi goûté à des chaussons chauds fourrés à la viande, des gaufres bourrées d'une sorte de crème au beurre chocolatée ou des galettes de pommes de terre agglomérées à du poisson. Pas besoin de parler russe pour marchander, tout cela est vendu à des prix défiants toute concurrence. En revanche, nous n'avons jamais osé gouter les poissons séchés qui se vendaient à tous les arrêts.

En plus de la production locale, des marchands parcourent les quais avec des chariots à roulette. Ils proposent la nourriture industrielle habituelle : chips, saucissons à l'ail (si bien que certains compartiments finissent par dégager une odeur puissante de saucisse), pain, chocolat, etc. Sans oublier les "Big Bon" : il s'agit de nouilles instantanées dans un pot en plastique avec des sauces en sachet. Un peu d'eau bouillante du samovar et hop ! Un repas complet est prêt ! Pratique pour dépanner lorsqu'on ne trouve pas grand chose à certains arrêts.

Du quai Vente sur le quai Le wagon

Nous passons notre première nuit dans le train. C'est très confortable, le faible roulis sur les rails nous berce agréablement.
Les passagers restent des durées variables dans le train : de quelques heures à plusieurs jours comme nous. Vladimir nous quitte durant la nuit ; Serguei le lendemain midi. En partant, Serguei nous tend une petite carte reproduisant une icône religieuse et nous déclare dans son mauvais anglais : "my family is your family". Nous sommes touchés au-delà du possible. Comme souvent dans la suite du parcours, nous regrettons de ne pas avoir de petits présents à offrir.
Les Russes paraissent bourrus voire froids au premier abord. Mais une fois que la glace est brisée (partager ses vivres avec ses compagnons de compartiment est un excellent moyen), ils se révèlent particulièrement chaleureux et aiment offrir de petits cadeaux.

Sur le quai Vente sur le quai Dans le train

Nous passons l'après-midi seuls dans le compartiment. Enfin seuls, pas complètement : nous sommes les uniques touristes étrangers du train et suscitons la curiosité des autres passagers russes. Un Indien installé en Russie et parlant anglais nous est envoyé en ambassadeur pour discuter avec nous et nous poser quelques questions comme : d'où venons nous exactement ? Pourquoi voyageons-nous seuls alors que nous ne savons pas parler russe ? De son côté, il nous raconte qu'il s'est installé en Russie avec toute sa famille pour diriger une entreprise pharmaceutique. Il nous explique que la vie est difficile ici (nous aurons l'occasion de constater à plusieurs reprises que beaucoup de Russes sont plutôt xénophobes) mais, conclut-il avec un large sourire : "Business is very good here !".


En soirée, il nous quitte à Iekaterinbourg, une des villes industrielles principales de Sibérie. Un renouvellement important s'effectue dans le train. Notamment, un groupe de jeunes gens entre 25 et 40 ans monte dans notre wagon. Au départ, nos deux-colocataires de compartiment sont deux jeunes femmes du groupe. Mais elles ne semblent pas satisfaites se trouver isolées de leur groupe, de surcroît avec des étrangers. Après de vives discussions dans le couloir, les filles s'en vont et nous héritons d'un des "encadrants" (?), plus âgé. Il porte une impressionnante toque en fourrure noire sur la tête et sera donc surnommé aussitôt "Tête de Loutre".


Le train s'ébranle poussivement. Depuis l'arrivée du groupe, çà s'agite dans les couloirs. Nous entendons plusieurs fois des conversations animées où revient le mot "Fransozen". Cà ne rate pas. Une petite demi-heure après le départ du train, un jeune homme blond joufflu nous invite, dans un anglais parfait, à venir dans son compartiment et celui de ses amis pour discuter. Et voilà comment nous faisons la connaissance de Sergueï (encore un), Sacha, Anieta, Mike et les autres.


En fait, ils sont tous employés dans une même entreprise exploitant du charbon. Ils occupent des postes divers, depuis le manoeuvre jusqu'au team manager en passant par l'ingénieur environnemental. Tête de Loutre est un expert senior. Comme l'entreprise s'est faite racheter par un gros groupe d'Iekaterinbourg, ils ont été conviés là-bas pour un séminaire d'entreprise sur les perspectives futures de leur société. Ils profitent du voyage retour pour faire la fête.
A peine arrivés dans le compartiment, nous sommes assaillis de nourriture, de vodka, de biere, et surtout de questions ! Cà va du "pourquoi voyageons-nous à deux?" (n'a-t-on pas d'amis ?) à "que pense-t-on du conflit en Georgie?". Ce qui nous étonne le plus, ce sont leur très fort sentiment nationaliste et leur nostalgie de la gloire passée de leur pays. Ils nous répètent à plusieurs reprises qu'après tout, ce sont les Russes qui, les premiers, ont mis la pâté à Napoléon et Hitler. Ils estiment que la Russie devrait peser plus de poids dans les affaires internationales. Globalement, ils pensent que les autres pays ont une mauvaise opinion de la Russie et qu'il faut changer cela. S'ils posent facilement des questions sur la politique, ils sont très circonspects eux-mêmes dans leurs réponses. Ce qu'ils connaissent de la France : Paris et la Tour Eiffel ; les 3 mousquetaires, D'Artagnan et la Gascogne ; la Provence ; les cuisses de grenouille et Depardieu ; Hélène et les garçons (! qui passe à la télé russe !) ; le champagne et Cécilia Sarkozy.
Plusieurs toasts et quelques chansons plus tard, nos nouveaux amis décrêtent que les Français, les Italiens et les Espagnols sont des Gentils ; les Allemands et les Anglais sont tolérés ; par contre, les Américains sont vilipendés (comme souvent).

Rencontres russes : Mike et Sacha Rencontres russes : Serguei Rencontres russes

Nous finissons par rejoindre notre compartiment à 3h du matin, les jambes un peu flageolantes. La vodka russe est bonne mais traitre (les Russes nous avaient prévenus et enjoint de manger en buvant. Mais bon, encore du saucisson à l'ail...). Tête de Loutre ronfle du niveau sonore de quelqu'un qui hurle, nous en recourrons aux boules Quies.

Le lendemain, nous sommes réveillés tôt par le soleil. A peine sortis du compartiment, nos Russes nous accueillent avec une bouteille de biere ! Même si certains ont l'air complètement saoûls, ils se tiennent avec retenue et ont assez de présence d'esprit pour se tenir à carreau lorsqu'un militaire passe dans le wagon. Nous avions déjà remarqué à plusieurs reprises qu'un nombre non négligeable de passagers boivent boivent boivent sans discontinuer durant tout le trajet. Et pourtant, ils n'ont pas forcément le profil d'ivrognes : certains, la bouteille à la main, se tiennent très dignement en costume cravate. Heureusement, nous n'avons jamais eu personne comme çà dans notre compartiment.

Après une après-midi et une nouvelle nuit à discuter avec nos amis russes, ils quittent le train tôt le matin à la gare de Taiga, aux cris de "Russie France amis". Le wagon retrouve son calme et nous en profitons pour récupérer. Le train traverse des paysages un peu plus vallonnés, avec des isbas en bois accrochées aux reliefs. Aux arrêts, les visages asiatiques commencent à dépasser en nombre ceux européens : nous nous rapprochons sans conteste de l'Asie.

Sur le quai Paysage de Sibérie Sur le quai

Les offres culinaires sont décevantes aux quelques arrêts effectués. Nous testons donc le wagon-restaurant du train. Au menu : boeuf Stroganoff purée et chachki (brochette de viande) frites. Ca change agréablement des Big Bon. Deux employés des trains en uniforme partagent temporairement notre compartiment. Le lendemain, c'est à notre tour de descendre du train.



Notre prochaine étape est la découverte du Lac Baikal .


Rendez-vous à la page Carnet pratique pour quelques conseils.

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